La realpolitik peut avoir un impact sur les politiques étrangères des pays pour favoriser les intérêts. Cependant, il y a des moments inoubliables dans l'histoire des nations qui cimentent un lien perpétuel entre elles. Cela fut particulièrement vrai pour les Turcs et les Juifs, deux peuples dont les chemins se sont croisés à de nombreuses reprises dans l'histoire et leur a laissé des traces indélébiles dans leurs souvenirs individuels.
L’édit d’expulsion des Juifs déclaré en 1492 est devenu dans l’histoire un point de repère marquant de l’interaction étroite entre les Juifs et les Turcs. La charte qui a déclaré que les Juifs n’étaient plus autorisés à rester dans le royaume espagnol a contraint les Juifs séfarades à quitter les provinces espagnoles et portugaises qui étaient leur patrie depuis des milliers d’années.
C’est à ce moment de l’histoire que Bayazid II, le sultan ottoman de l’époque, est intervenu et a envoyé sa marine en Espagne sous le commandement de l’amiral Kemal Reis pour évacuer les Juifs en toute sécurité sur les terres ottomanes.
En contraste frappant avec l’attitude de Ferdinand II d’Aragon, qui a déclaré : « Qu’il soit un Juif pauvre ou riche, aucune importance, ils doivent tous tout de même se convertir ou partir ».
Bayazid II a assuré pour les Juifs un environnement accueillant sur ses terres en émettant des proclamations dans tout l'Empire ottoman selon lesquels les réfugiés devaient être reçus avec hospitalité.
Il a également accordé aux Juifs le droit de s’installer partout sur les terres impériales et de jouir des mêmes droits comme tous les autres.
En retour, les Juifs se sont toujours avérés être des membres hautement dignes de confiance de l'Empire qui ont servi à des postes très importants dans l'administration et ont été nommés en tant que médecins en chef du palais ou en tant que médecins personnels des sultans.
Une telle opération de sauvetage menée par les Turcs pour les Juifs ne s’est pas limitée à l’époque ottomane de l’histoire turque.
Par exemple, le rôle qu’ont joué des consuls et des diplomates turcs au cours de la Seconde Guerre mondiale dans plusieurs pays occupés par les Allemands est connu par très peu de personnes.
Pendant l'Holocauste, il y avait environ 10.000 Juifs turcs vivant en France.
Les diplomates turcs ont eu recours à diverses méthodes de délivrance de cartes d'identité et de passeports pour des milliers de Juifs en risquant leur vie pour sauver les Juifs des trains se dirigeant vers les camps de concentration nazis.
En 1940, Behiç Erkin, l'ambassadeur de Turquie en France, a émis des documents de citoyenneté turque à 18.200 Juifs en France, malgré la pression du gouvernement français sous l’occupation nazie et a pu ainsi sauver leur vie.
Avec les passeports accordés, des milliers de Juifs sont arrivés en Turquie par des trains. En 2007, une association israélienne de Juifs originaires de Turquie ont demandé à ce que le nom de Behiç Erkin soit inclus au Mémorial de Yad Vashem parmi les Justes parmi les nations. Le Musée Juif d’Istanbul à la synagogue Neve Shalom montre des souvenirs de Juifs fuyant l’Inquisition espagnole et qui ont été installés à Istanbul par le Sultan Bayazid II.
L’histoire de Necdet Kent, le vice-consul de Turquie à Marseille en France, est particulièrement remarquable. Lorsque les nouvelles que les Allemands avaient chargé 80 Juifs turcs vivant à Marseille dans des wagons à bestiaux pour les transporter vers les camps de concentration nazis sont apparues, ce diplomate turc a contesté le commandant de la Gestapo à la gare.
Il a demandé leur libération immédiate déclarant qu’ils étaient des citoyens turcs et que la Turquie n’avait pas participé à la guerre. Après la réponse sévère de l’officier allemand déclarant : « Ils ne sont rien d’autre que des Juifs », Necdet Kent et son assistant sont également montés dans le train et ont refusé de descendre malgré l’insistance de l’agent.
A la station suivante, les officiers allemands sont montés à bord et ont présenté des excuses à Kent pour ne pas l’avoir laissé descendre à Marseille ; ils avaient une voiture qui l’attendait à l’extérieur pour le ramener à son bureau. « En tant que représentant d’un gouvernement qui a rejeté un tel traitement pour des croyances religieuses, je ne pouvais pas envisager de les laisser là » dit-il.
Surpris de sa position intransigeante, les Allemands ont finalement laissé tout le monde hors du train.1 En 2001, Necdet Kent a été honoré par la Médaille du service suprême, l’un des plus grands honneurs de la Turquie, ainsi que par une médaille spéciale d’Israël pour le sauvetage des Juifs pendant l’Holocauste.
Il existe une myriade de telles histoires dans l’Histoire. Mais ce qui mérite une mention est le fait que de telles interventions humanitaires réalisées en divers points de l’histoire turque ne sont certainement rien d’autre qu’une manifestation du précepte musulman qui décrète : « Et quiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la vie à tous les hommes. » (Coran, 5:32) Cette disposition divine a aussi son équivalent dans le Talmud avec les mots : « Celui qui sauve une vie humaine, c’est comme s’il avait sauvé le monde entier. »
Il y a surtout un message que ces histoires nous transmettent : Le peuple de Turquie et les Juifs ont un lien inséparable qui a ses racines dans des centaines d’années d’histoire. C’est en fait une structure robuste qui peut résister aux éruptions soudaines générées par les pratiques politiques froides basées uniquement sur les intérêts. Aussi longtemps qu’il y a des gens de bon sens qui parlent le langage de la paix et qui parviennent à apaiser ces feux, nous verrons les effets de la realpolitik diminuer avant qu’ils atteignent nos rivages.
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